Un magistral tour de force !
Paul Auster réussit un véritable tour de force passionnant en s’intéressant à la vie de Stephen Crane, considéré comme le 1er moderniste américain bien que mort à 29 ans en 1900, en analysant son œuvre prolixe et multiforme (romans, nouvelles, poèmes, chroniques et articles de presse) et en décrivant le paysage américain entre 1871 et 1900, marqué par deux grands crimes : l’asservissement des Noirs-Américains et l’annihilation des Indiens. Stephen Crane est le dernier né d’une fratrie de 14 enfants dans une famille méthodiste fervente, dans le New Jersey. Il rédige son premier texte de fiction à 13 ans. Il s’intéresse très vite à différents mondes et devient, à 18 ans, chroniqueur pour des journaux. Grâce à une intuition innée des fonctionnements intimes de la psyché américaine et par extension de la société dans laquelle il vivait, il rédige de véritables commentaires sociaux. Bien que se démarquant de sa classe sociale par sa tolérance globale et son esprit égalitaire, il n’est pas épargné par les préjugés et les stéréotypes de l’époque. Sa pensée est plus nuancée et informée grâce à sa curiosité et l’appréhension du réel par l’immersion dans les milieux qu’il étudie (les mines de charbon de Pennsylvanie, la sécheresse dans le Nebraska, les guerres à Cuba, en Crète et à Porto Rico). Celui qui fut l’ami de Conrad, James, Wells et Conan Doyle, lorsqu’il s’exila en Angleterre et admiré par Ernest Hemingway, ne connut hélas pas de véritable gloire de son vivant. On devine l’admiration immense de Paul Auster pour ce jeune auteur, aux identités si diverses, qui n’était personne et devint quelqu’un, tout autant adoré que méprisé par beaucoup, qu’on oublia souvent et dont on se souvint plusieurs fois. Parsemé de nombreux extraits de sa production, on devine la prose crépitante, le regard tranchant et l’œuvre poignante de Stephen Crane. En attendant de se plonger dans ses ouvrages !